Afganistan

Rupture : Premières réflexions

08/09/2021   Temps de lecture: 18 min

Quelles possibilités doit-on se réserver. Un premier bilan de la crise afghane, 20 ans après le 11 septembre 2001. Par Thomas Rudhof-Seibert.

Même si personne ne pouvait s'attendre à ce que l'État afghan s'effondre en trois jours : l'incapacité du gouvernement allemand à évacuer les Afghan:es menacé:es de mort est tout simplement scandaleuse. Il était en effet clair depuis plus d'un an que le pays et ses quelque 40 millions d'habitant:es seraient livré:es au fascisme religieux. Après que les États-Unis ont annoncé leur retrait aussi rapidement que possible sous Trump puis Biden, il était devenu évident que tous leurs alliés se retireraient en même temps - et que des centaines de milliers d'Afghan:es devraient sauver leur vie en fuyant. Aussi les troupes occidentales et leurs gouvernements auraient-ils pu et dû se préparer à ce moment.

Il aurait dû y avoir des plans d'évacuation et leur mise en œuvre aurait dû être assurée. L’ensemble de l'opération, avant tout, aurait dû être discutée avec celles et ceux qu'il fallait évacuer : celles et ceux qu'il faut encore évacuer. En outre, l’opération aurait dû être conçue non comme une intervention humanitaire mais politique. C’est précisément ce qui aurait dû être communiquée aux talibans. Rien de tout cela n'a été réalisé, même pas un iota. À la place, le retrait s'est transformé en fuite. À la place, des dizaines de milliers d'Afghan:es ont dû essayer chaque jour et pendant plus de dix jours d'accéder à l'aéroport pour, avec un peu de chance, être évacué:es en avion.  Le monde entier a été le témoin direct de cette tragédie. Tragédie qui a atteint son paroxysme le 26 août, jour des attentats commis par l'État islamique. Des attentats qui étaient prévisibles depuis le début. Plus de 80 personnes sont mortes. Elles n'étaient pas les premières, et ne seront pas les dernières.

Priorités allemandes

L'Occident a évacué ses propres citoyen:nes, mais très peu d'Afghan:es. L'échec de l'intervention allemande est éclatant : parmi les 4921 personnes évacuées par avion vers l'Allemagne, seules 248 personnes étaient des soi-disant agents locaux et ensemble avec leurs familles, soit un total d'un peu plus de 900 personnes. Mais vu que plus de dix mille demandes ont été reçues, il serait plus correct de dire : 900 sur plus de 10 000. D'autres suivront, notamment des employé:es afghan:es d'ONG allemandes. La Chancelière admet « que cela n'a pas été facile. La situation avait été préalablement mal évaluée ». On apprend entre-temps qu'un premier avion aurait dû décoller en juin de Mazar-i-Sharif, ville où se trouve le plus grand camp de la Bundeswehr. Le vol a été empêché par Horst Seehofer et son ministère de l'Intérieur, dont les mesures de prévention de la migration ont été motivées par des considérations racistes.

Si la République fédérale d'Allemagne devait prendre au sérieux ses obligations en matière de droits de l'homme, elle rendrait actuellement des comptes sur les plans politique et juridique. Néanmoins, le ministère de Seehofer ne serait pas le seul à être traduit en justice. Personne ne l’a arrêté : ni le ministère des affaires étrangères, ni le ministère fédéral de la défense, ni la chancellerie fédérale. Pourquoi ? L'Allemagne est en période électorale. Les partis de la coalition ne sont pas les seuls à vouloir faire preuve de considération pour leurs électeurs:trices allemand:es, celles et ceux qui sont censé:es voter « allemand ». Le scandale, c’est cela. La disgrâce de ceux qui sont au pouvoir, de leurs partis, de ces électeurs:trices.

Première rétrospective

Cette histoire a commencé avec les attentats du 11 septembre 2001, auxquels l'Occident a répondu par l'opération « Liberté immuable » : le premier peloton de la « guerre contre le terrorisme », se substituant à la confrontation Ouest-Est. Des opérations militaires ont eu lieu simultanément dans la Corne de l'Afrique, aux Philippines, en Afrique saharienne et subsaharienne, ainsi qu'en Afghanistan. La raison officielle de l'attaque contre l'Afghanistan était le refus du premier gouvernement taliban, au pouvoir depuis 1996, de prendre des mesures contre le réseau Al-Qaida responsable de l'attaque. Autre raison : le défi symbolique, quasi-inégalable, lancé à l'Occident à travers le dynamitage des statues séculaires de Bouddha dans la vallée de Bamiyan, six mois plus tôt.

Soutenues par les bombardements de l'armée de l'air américaine, des unités des moudjahidines ont conquis Kaboul un mois plus tard. En décembre 2001, les États-Unis obtiennent la résolution 1386 de l'ONU, qui légitime alors la création de la « Force internationale d'assistance et de sécurité » (FIAS), dans laquelle opère également la Bundeswehr. En 2002, un gouvernement de transition a été formé. En 2004, des élections ont été organisées, faisant de Hamid Karzai le premier président de la République islamique d'Afghanistan, succédé dix ans plus tard par Ashraf Ghani : tous deux représentent une classe dirigeante afghane étroitement liée à l'occupation et en proie aux plus âpres rivalités. Une classe dirigeante qui, durant toutes ces années, a uniquement travaillé pour son propre compte. En fuyant Kaboul, Ghani a emporté plusieurs voitures de luxe et des millions en espèces.

Si les troupes de la FIAS n'ont pas réussi à vaincre les talibans malgré de multiples renforcements au fil des ans, c'est aussi du fait du peu de scrupules de leurs alliés afghans. Mais le plus grand facteur a été la violence que les « libérateurs » ont fait subir aux Afghan:es. Leurs victimes n'ont été systématiquement recensées qu'à partir de 2009, et le nombre de morts civils s'est récemment élevé à plus de 100 000, dont beaucoup sont morts pendant les années de bombardement. Cependant, cette terreur n'a pas permis d'atteindre son objectif : non seulement les talibans réorganisés, mais aussi les milices moudjahidines et la mafia de la drogue demeurent maîtres de leurs propres armes.

Dans le même temps, ni les États de la FIAS ni l'État afghan n'ont réussi à améliorer la situation économique catastrophique du pays qui, outre la violence incessante, demeure le principal motif du mouvement migratoire ininterrompu depuis des décennies. Selon les estimations, 70% voire 90 % des Afghan:es vivent sous le seuil de pauvreté et actuellement, 18 millions sont menacé:es par la faim. Soit un:e Afghan:e sur deux. Sur 38 millions d'Afghan:es, environ 2,7 vivent déjà à l'étranger tandis que 5,2 millions ont une expérience migratoire. Rien qu'en 2019, plus de 100 000 personnes ont fui, et 2,6 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays.

L'économie de la violence

Cependant, l'Afghanistan ne souffre pas seulement de la violence : l'Afghanistan vit de la violence. Bien entendu, cela s'applique directement aux membres de toutes les forces armées et à leurs familles, y compris les talibans. Même si le noyau du mouvement est constitué de cadres politiquement très motivés et intrinsèquement prêts à se battre jusqu'à la mort, pour la majorité des 70 000 combattant:es, ce qui compte avant tout, c'est de percevoir un revenu. Ni l’armée, ni la police, ni les miliciens des moudjahidines n’y font exception. Parmi les rebuts de l'économie de la violence, on compte bien entendu également la criminalité qui prédomine dans tous les domaines, depuis les vols de rue et les enlèvements jusqu'à la corruption, toujours sous-tendue par la violence.

Après tout, l'État lui-même et sa bureaucratie vivent de la violence. Même les Afghan:es qui travaillent pour des organisations non gouvernementales et tirent leurs revenus de l'afflux de l'aide humanitaire, elle-même résultat de la violence, vivent de la violence. Même lorsqu’elles :ils font un bon travail, par ailleurs indispensable. Pour résumer, toute personne en Afghanistan qui ne tire pas ses revenus de l'exercice de la violence ou de la régulation de rapports violents n'a aucun revenu, mais fait partie d'une population superflue ne disposant d'aucune perspective d'existence sûre. C'était déjà le cas en 2001, c'est encore le cas aujourd'hui et ce sera le cas demain.

Deuxième rétrospective

Le conflit afghan était et reste un conflit postcolonial, un conflit de confrontation de blocs et un conflit de l'empire mondial. Il remonte à la création de la monarchie afghane au XIXe siècle, se poursuit avec la transition vers une république bourgeoise, puis vers une république populaire. Il s'intensifie avec l'invasion de l'armée soviétique, puis avec le règne des moudjahidines et des talibans, enfin avec l'invasion et la présence pendant vingt ans de la FIAS, désormais relayée par le second régime des talibans. Au-delà des différences idéologiques, cependant, le conflit se nourrit d'une profonde grammaire de divisions ethnico-religieuses. Toutefois, cette grammaire ne repose pas simplement sur le fait que plus de dix groupes ethniques différents vivent sur le territoire afghan actuel. Elle ne résulte pas non plus de la diversité de 50 langues et 200 dialectes. La diversité ethnique, linguistique et religieuse n'est devenue une grammaire profonde de la violence qu'avec ce qu'on a appelé le Grand Jeu, la compétition entre la Grande-Bretagne et la Russie pour exercer une hégémonie sur l'Empire perse alors en voie de désintégration. Les deux puissances coloniales ont échoué. Les Britanniques malgré les trois « guerres anglo-afghanes », au cours desquelles - pour ne citer qu'un exemple - en 1842, ils ont donné la ville de Kaboul nouvellement conquise à leurs soldats pour qu'ils la pillent pendant deux jours : le bazar historique a ensuite été réduit en cendres.

L'échec de la tentative coloniale de s'emparer du pays a laissé derrière lui le projet de créer un État « national », c'est-à-dire un État à majorité ethnico-religieuse, dans le pays qui ne s'appelle « Afghanistan » que depuis cette époque et qui, pendant des siècles, s'appelait « Khorasan » ou « Kaboulistan ». Ce n'est qu'aujourd'hui que les différences ethniques, linguistiques et religieuses, jamais dépourvues de conflits, sont devenues un foyer de violence. Le nom « Afghanistan » dit tout : à l'origine, il n'était utilisé que pour désigner les membres du groupe ethnique le plus important, les Pachtounes. Dans l'État postcolonial, ces derniers ont revendiqué le pouvoir politique, militaire et économique, y compris le pouvoir de définir ce qui allait désormais devenir la « nation afghane » : un parcours désastreux qui, à travers le monde, a affligé les pays colonisés par les Européens après leur « libération nationale ».

Le groupe des Hazaras en a le plus souffert. Les Hazaras parlent le persan et pratiquent le chiisme, tandis que la majorité des habitant:es de l'Afghanistan sont de confession sunnite. Selon des estimations toutefois imprécises, leur nombre a été réduit de moitié au cours des cent dernières années. Sous le premier régime taliban, jusqu'à 3 000 Hazaras ont été massacré:es délibérément, souvent par décapitation sur la place publique. Au cours des cinq dernières années, plus de 1000 Hazaras ont été victimes d'attaques. Ce n'est donc pas une coïncidence si les Hazaras appellent encore Khorasan la terre qu'ils partagent avec leurs bourreaux. Que ce nom soit également employé par la section afghane de l'État islamique n’est pas non plus une coïncidence : dans les deux cas, il s'agit d'une référence à l'époque précoloniale.

Une parenthèse lourde de conséquences

Dans les années 1970, le conflit postcolonial se transforme en une confrontation entre les blocs Ouest et Est. Le coup d'État au sein de la famille du dernier Shah afghan, qui a conduit à la fondation de la première république afghane en 1973, a constitué un tournant. S'en est ensuivi en 1978 le coup d'État d'un groupe de jeunes officiers proches du « Parti démocratique populaire d'Afghanistan », une organisation marxiste-léniniste fondée en 1965 par 27 intellectuels. Même à cette époque, le PDPA était divisé en deux ailes dont les différences politico-idéologiques étaient fondées sur l'ethnie. Le nouveau gouvernement a radicalisé la politique de modernisation déjà menée par la monarchie et a donc également radicalisé la résistance qui était surtout virulente au sein de la majorité paysanne pauvre. En seulement quelques mois, le conflit a viré en une guerre civile dans laquelle l'armée soviétique est intervenue la même année. L'Afghanistan est alors devenu un théâtre principal de la confrontation Ouest-Est, et la défaite des forces armées soviétiques en 1989 a essentiellement marqué la défaite de l'ensemble du bloc dominé par les Soviétiques.

Se souvenir de cette parenthèse est indispensable pour comprendre pourquoi la violence et la misère n'ont pas non plus conduit à la formation ni même à la mise en place dans le pays d'une option émancipatrice de la gauche. De plus, parce que cette parenthèse constitue un exemple pour l'histoire de la confrontation des blocs, et donc aussi pour l'histoire du « socialisme réellement existant » en général; elle permet de comprendre pourquoi en Afghanistan mais aussi ailleurs, le fascisme fondé sur la religion est devenu l'extérieur de l'ordre mondial qui a émergé non seulement de la victoire de l'Occident capitaliste mais aussi de la défaite et de l'échec qui y a précédé de ce socialisme.

La fin de la confrontation des blocs a également déterminé l'histoire qui a suivi l'intervention de 2001, qui s'inscrit à son tour dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Avec la victoire sur le bloc dominé par les Soviétiques, le bloc des États occidentaux a proclamé l'aube d'un ordre mondial dans lequel les droits de l'homme, la démocratie et le capitalisme se retrouveraient pour toujours : beaucoup ont parlé à l'époque de la « fin de l'histoire ». La mondialisation du capital, le parlementarisme et l'OTAN étaient censés garantir cette fin. L'intervention en Afghanistan et celle deux ans plus tard en Irak étaient supposées mettre le point sur le « i » et achever ce qui avait été tenté précédemment à travers l'intervention dans la guerre civile yougoslave - c'était aussi un moment de passage de la confrontation des blocs au nouvel ordre mondial. Non seulement les gouvernements participant à la mission de la FIAS et à la « coalition des volontaires » étaient d'accord sur ce point, mais aussi de larges pans des sociétés occidentales et, du moins, de celles qui y sont formellement acceptées. Le consensus impérial a également trouvé son approbation au sein d'une gauche alors désorientée à juste titre.

La crise comme norme et état normal

Un an avant l'intervention en Afghanistan, Toni Negri et Michael Hardt ont publié leur livre « Empire », qui allait déterminer le débat de gauche des prochaines années. Ils y replacent conceptuellement le nouvel ordre mondial dans l'histoire des grands empires et y trouvent ce qui apparaît à première vue comme une tournure de phrase très simple, selon laquelle « l'empire en tant que champ d'investigation (est) déterminé avant tout par le simple fait qu'il y a un ordre mondial ». Au cours de l'étape suivante, cependant, ils fondent cette détermination sur une deuxième thèse, qui n'est plus aussi simple. Selon eux, la crise au sein de l'Empire, et avec elle la crise de l'Empire lui-même, ne serait pas une simple altération ou perturbation temporaire de son état normal, à laquelle il faudrait remédier au plus vite. Au contraire, la crise ne serait et ne resterait rien d'autre que la « norme » logiquement et empiriquement régulatrice de la souveraineté impériale elle-même : Il ne serait et ne resterait rien d'autre que son état normal.

Ce que ces deux tournures de phrase de Hardt/Negri signifient dans leur contexte, l'Empire lui-même ainsi que nous tous avons dû l'apprendre dans les années qui ont suivi. La fuite des troupes de l'ISAF d'Afghanistan et le retour des talibans au pouvoir scellent cette leçon. Toutefois, cela ne veut pas dire que l'Empire a subi une défaite et que l'Afghanistan n'est plus une province de l'Empire. Au contraire, au lendemain de l'épreuve vécue par la Syrie, l'Afghanistan risque de devenir le paradigme de ce qui se passera dans un nombre croissant de ces provinces dans les années à venir. Si au sein de l'Empire, les droits de l'homme, la démocratie et le capitalisme doivent ne faire qu'un, ce précepte ne s'appliquera qu'à son Nord global et seulement dans une mesure très limitée à son Sud global.

Si, avec l'escalade de la crise écologique, des zones de plus en plus nombreuses et de plus en plus étendues de la planète sont dévastées et par conséquent, désormais régies par une économie de la violence régulée uniquement sous certaines conditions, alors on n'aura besoin ni de militant:es des droits de l'homme ni de démocrates, mais seulement de forces de l'ordre déterminées. Y sont compris les talibans, mais aussi le régime d'Assad et celui d'Erdogan. Y sont probablement compris les gangs auxquels l'Empire est en train de livrer Haïti. Au-delà des différences entre ces forces de l'ordre, elles se ressembleront sur un aspect essentiel de leurs politiques : elles domineront les régions dévastées en appliquant des systèmes d'inclusion et d'exclusion sur leurs habitant:es ainsi que sur les habitant:es des régions voisines. Des systèmes coordonnés avec l'Empire qui les financera, et qui donnent accès aux ressources susceptibles d'être exploitées. Même si ces forces de l'ordre n'auront pas le droit de tout faire, elles auront les coudées franches pour exercer la violence nécessaire. La gestion des relations avec Erdogan donne une idée de ce qui sera possible. Dans un cadre limité, ces forces de l’ordre peuvent tantôt se placer sous la protection d'une grande puissance, tantôt sous celle des autres. Des grandes puissances dont la concurrence mutuelle est elle-même inhérente à la crise permanente de l'Empire. Ces forces de l’ordre auront le droit d’être un peu ou même plus pro-russes et prochinois, voire « islamistes » : en tous cas tant qu'elles s'entendent avec les États-Unis et l'Europe.

A qui appartient la crise ?

Si la crise constitue la norme et l'état normal de l'Empire, cela ne signifie pas que l'Empire survit à sa crise. Son déclin peut commencer n'importe où et à n'importe quel moment. En l'état actuel des choses, la planète elle-même, qui ne dépend pas de la colonisation des sociétés humaines, pourrait s'en charger. Le déclin pourrait également provenir de son antagoniste majeur du moment, le fascisme religieux. Certes, son incorporation dans l'ordre établi n'est pas encore acquise. Toutefois, l'empire a fait et fait face à une résistance dès le début, dans tous les endroits où l'on milite en faveur de la démocratie et des droits de l'homme. L'invasion de l'Irak a engendré un mouvement pacifiste de portée mondiale. Depuis 2010, la chaîne des soulèvements démocratiques majeurs dans le Sud mondial ne s'est pas rompue. Si à maintes reprises, l'Empire a été en mesure de contrecarrer les mouvements migratoires mondiaux, elle n’a pas réussi à les endiguer définitivement à l'une ou l'autre de ses frontières. La victoire ou la défaite de l'empire dépend également du cours que prendra l'histoire afghane, avec lequel le scénario décrit ici trouve sa fin provisoire et reste donc en suspens. Bien que pour l'Empire, il n'ait jamais été vraiment question d'instaurer les droits de l'homme, la démocratie et l'égalité des sexes en Afghanistan, des dizaines de milliers d'Afghan:es se sont approprié:es ces promesses. Jour après jour, année après année, elles:ils ont affronté non seulement la violence mais aussi les divisions ethno-religieuses, et au milieu de toutes ces calamités, ont initié des processus de démocratisation qui ont rendu concrète la signification des droits de l'homme : Créer les conditions dans lesquelles chacun:e peut tenter de déterminer librement sa propre vie et la vie communautaire. Ce sont elles:eux, surtout, qui sont maintenant abandonné:es. Elles, eux, dont les années de travail, les vies entières ont été trahies.

Pour l'instant, la plupart d'entre elles:eux veulent juste fuir, ce qui est absolument légitime. Voilà qui explique le mot d'ordre actuel, faisant consensus au sein de l'Empire: « 2015 ne doit pas se répéter ! ». Voilà pourquoi ils négocieront demain avec les talibans, comme ils le font avec Assad, avec Erdogan ou avec les gangs haïtiens. Se soustraire à ce consensus ne peut donc que signifier tout entreprendre pour que se répète ce qui a été amorcé en 2015. Cependant, se réserver la possibilité d’instaurer une politique au-delà de l'empire et de la violence ethnique, raciste et patriarcale des fascismes implique également d'affronter la question non résolue de savoir comment combattre cette violence en Afghanistan, mais aussi en Syrie ou en Haïti, et comment combattre avec elle la violence avec laquelle nos relations sociales sont maintenues. Cette politique n'exige pas de plan directeur, mais souligne ce qu'il ne faut pas oublier.

Traduction: Rajosvah Mamisoa


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