Au temps de Covid 19

Les frontières et la migration subsaharienne

Pour la population migrante, le Covid n’a fait qu’ajouter un nouveau chapitre de souffrance sur la longue liste de leurs misères. Par Emmanuel Mbolela.

Il y a une année, jour pour jour que notre humanité est dévastée par l’apparition de coronavirus, un virus imprévisible qui a causé et qui continue de provoquer d’énormes dégâts humains. Actuellement comme cela a été le cas au début de cette épidémie, les urgences des hôpitaux sont de nouveaux saturées dans plusieurs pays, les taux de contamination augmentent quotidiennement. Chaque soir devant le petit écran, les nouvelles sont alarmantes. Les décès se comptent par milliers chaque jour. Les morts sont enterrés parfois sans être accompagné par leurs proches qui devaient leur rendre le dernier hommage. Une situation inédite depuis la fin de la seconde guerre mondiale pour certains pays de l’Europe occidentale. Ce virus mortel, que l’Organisation Mondiale de la Santé a déclaré de pandémie a surpris tout le monde au point que certains chefs d’Etat européens n’ont pas hésité de dire tout haut qu’ils étaient ‘’en guerre contre un ennemi invisible’’. Dans la guerre, que l’ennemi soit visible ou invisible, les conséquences sont toujours désastreuses et les réactions des hommes et des femmes restent les mêmes. Comme nous l’avons vu quelques jours avant l’entrée en vigueur de mesures de tout premier confinement, la population a pris d’assaut les supers marché pour se constituer de réserve de produits de première nécessité. Les rayons de super marché se vidaient car chacun cherchait à se constituer de stock sans savoir pour combien de temps cette situation allait durer. Dans certains pays comme la France, on a vu quelques personnes quittaient les grandes villes comme Paris pour aller dans les campagnes où ils espéraient se mettre à l’abri sans toutefois en être sûr.

L’enseignement à tirer de cette crise du virus de corona c’est d’abord le fait que notre humanité est tellement interconnectée que les circonstances qui peuvent provoquer des souffrances peuvent atteindre et frapper n’importe qui, à n’importe quand et n’importe où. Le monde étant devenu ce petit village, il n’est plus question de penser comme dans le passé que certaines épidémies comme Ebola, Sida, Tuberculose ou encore cholera étaient propres à une catégorie de pays souvent pauvre. Le Covid a montré que l’épidémie peut non seulement provenir de pays du sud comme on l’a toujours pensé, mais elle peut également resurgir des Pays du Nord ou de l’orient et atteindre les quatre coins du monde dans un temps record. Frappé avec la même virulence les riches comme les pauvres, les puissants comme les faible. Nous avons vu les dirigeants de super puissance de ce monde comme l’Allemagne, l’Angleterre, les USA, la France être atteints et mis en quarantaines comme il en est le cas de simples citoyens de pays dit pauvres de l’Afrique ou de l’Asie. Une autre leçon à tirer de Covid 19 c’est la mise en lumière de l’égoïsme qui caractérise les pays riches. Chacun s’est préoccupé à mettre en place de mesures devant sauver les intérêts de sa propre population. Chaque gouvernements des pays riches à débloqué de centaines de millions voire de milliards d’euros ou de dollars pour soutenir ses entreprises afin d’éviter la faillite susceptible de provoquer le chômage en masse. Sur le plan sanitaire, c’est pas surprenant de constater que les pays européens qui critiquaient la politique de ‘’l’America first’’ de Trump ne se soient pas gêné de reproduire ce modèle dans la recherche et le déploiement du vaccin. La volonté affichée de faire du vaccin contre le Covid 19 un bien commun de l’humanité n’est restée qu’au niveau de simple déclaration d’intention.

Enfin cette pandémie nous a appris que devant la menace ou l’incertitude du lendemain, l’être humain entreprend toute action même désespérée, soit – elle, pourvu qu’elle l’aide à survivre. Avant le premier confinement n’avons-nous pas vu des hommes et des femmes se disputaient les paquets de papiers toilette dans les rayons de super marché européen ! De telles réactions sont comparable à celles de milliers de personnes que l’on qualifie de ‘’migrants clandestins’’. Il est souvent difficile pour une certaine génération de pays du nord de comprendre la vraie motivation qui poussent ces personnes à quitter leurs pays, à prendre les risques pour aller à la recherche de ce que l’on qualifie de l’Eldorado. Surtout il est encore plus difficile de ressentir la souffrance qu’endurent les migrants pour cette génération habitué à la vie de bouton : on se lève le matin, on entre dans le toilette, on presse sur un bouton pour chasser les déchets, on entre dans la douche, encore on appuie sur un bouton et on a de l’eau chaude pour se laver; dans la cuisine tout est mécanisé au point qu’il suffit d’appuyer sur un bouton et se faire une tasse de thé ou de café dans une minute.

Pour cette population migrante, le Covid n’a fait qu’ajouter un nouveau chapitre de souffrance sur la longue liste de leurs misères. En effet, pendant que toute l’attention de l’opinion publique, est focalisée sur le Covid 19, l’Union européenne profite d’un coté pour se débarrasser des migrants sans papier vivant sur son territoire en organisant de vols charter pour expulser dans des conditions moins supportables ce qu’ils qualifient de fardeaux. De l’autre coté elle exerce de fortes pressions aux pays de l’Afrique du Nord à qui il a fait signer des accords de contrôle de frontières pour empêcher par tous les moyens l’accès de migrants sur les territoires de l’Union. Les pays de l’Afrique du nord qui espèrent tirer des dividendes politiques et financières de ces accords, ne cessent d’intensifier des actes de violences envers les migrants. C’est le cas du Maroc où depuis la crise sanitaire on assiste à la recrudescence des violences envers les migrants subsahariens dans les grandes villes comme Rabat où le contrôle au faciès, les arrestations suivies de refoulement vers le sud dans les zones désertiques très dangereuses ont repris. En même temps le Maroc a activé les accords de protection de frontières signé avec l’Espagne en 2018. On assiste à la montée de violences envers les migrants dans les nord du Maroc où ils sont délogés de leur campement : les tentes et les biens appartenant aux migrant es sont incendiés régulièrement.

 Comme on peut le constater c’est encore l’approche sécuritaire qui est mis en avant. Pourtant une telle méthode s’est déjà révélé contre – productive en terme de dissuasion, mais plus efficace à cause de drames humains qu’elle provoque quotidiennement dans la mer et le désert. En d’autres termes, le renforcement de dispositifs de contrôle aux frontières, n’entraine que le contournement de routes migratoire. Il ne dissuade pas les migrants par contre les oblige à emprunter les voies plus dangereuses. C’est la situation que l’on peut observer actuellement avec la reprise de la route des îls Canarie. Un chemin long et plus dangereux qui a déjà causé beaucoup de mort dans les années 2006. La reprise de cette route est dû notamment au fait que les migrants subsahariens se sont vus à la fois Coincé et bloqués par le renforcement de contrôle et l’obstruction de toutes les voies de sorties du Nord du Maroc en plus d’être exclus de toutes les mesures de protection sociales en rapport de Covid 19 prises par les autorités. Se retrouvant comme pris dans un étau et vivant quotidiennement dans la peur et l’angoisse de se voir arrêté et refoulé, les migrants quittent de plus en plus les villes du nord et se dirigent vers Dakhla pour aller tenter le voyage dans les îles Canarie. Tandis que d’autres migrants qui reçoivent, à partir de leurs pays, les informations sur l’impossibilité de traverser par le nord du Maroc, se dirigent vers le Sénégal pour prendre les Cayucos ( pirogue de pèche ) et se jeter dans l’atlantique avec espoir de regagner les Iles Canaries.

 Alors que les nouvelles en provenance de ceux et celles qui sont partis sont alarmantes. Ils ( elles ) sont par contre de plus en plus nombreux – ses à emprunter cette route, mais de moins en moins à accéder sur le sol européen. Beaucoup parmi eux ( elles ) meurent à la porte de l’Europe sous le regard passif et complice des dirigeants européens. Leur mort est devenue une habitude et normale. Elle ne provoque plus l’émotion. L’Europe est trop préoccupée par des mesures restrictives visant à empêcher l’accès des migrants sur son territoire que de la sauvegarde de vies humaines. Depuis le début de l’épidémie de Covid, l’ARCOM, constate sans voix, au départ de femmes accompagnées de leurs enfants vers Dakhla pour aller tenter le voyage. Ces femmes reçoivent souvent le coup de téléphone de la part des personnes qui profitent de cette situation de renforcement de frontières, pour faire le business sur les dos de pauvres. Nous voyons les femmes quittaient précipitamment notre foyer d’hébergement pour rejoindre le tranquillo, le lieu tenu secret où l’auto maffia (le véhicule utilisé par les passeurs) viendrait les chercher pour les amener dans le Sud du Maroc. Elles partent et nous n’avons jamais de leurs nouvelles, or souvent celles qui accédaient sur le territoire européens faisaient signe de vie à leur arrivée. Une situation très inquiétante quand on sait que pour la seule année 2020, l’ONG Espagnole Caminando Frontera a enregistré 2.170 migrants qui ont péri dans l’océan Atlantique en tentant de gagner l’Espagne. Les alertes lancées chaque jour sur les réseaux sociaux par Helena Malemo, cette militante espagnole de droits de l’homme qui habite depuis plusieurs années au Maroc, expliquent clairement les drames humains qui se produisent au niveau de frontière européenne. Il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait naufrage de pateras cherchant à regagner les Canarie. Dans ce naufrage ces sont les dizaines voir de centaines de vies humaines qui sont englouti par la mer.

Ces drames bien qu’on en parle peu dans le media européens, ils sont bien connue des décideurs européens car ils sont documentés à la fois par des grandes organisations internationales comme UNHCR et l’OIM, mais également par certains ONG et associations européennes comme Alarmphone et tant d’autres. Pourtant c’est le silence complice et coupable que l’on observe. Les dirigeants européens qui se battent nuit et jour pour le déploiement des vaccins devant sauver les vies humaines contre le Covid, laissent mourir les migrants par leur dispositifs sécuritaires aux frontières au point que certains se demandent si la vie des migrant es ont moins d’importance que celles des autres.

L’on sait que la plupart des migrant es viennent de pays appauvris, dévastés par des guerres parfois importées ou imposées par les pays riches dans le seul but de maintenir ces pays sous contrôle afin de bien faciliter les transactions internationales. La situation sanitaire actuelle montre que bien que le Covid 19 ait produit en Afrique de dégâts humains avec moins de violence qu’en Europe, elle s’est en revanche ajoutée sur les causes structurelles qui rongent depuis des siècles les économies de ces pays. Cette situation qui est en train de s’aggraver va provoquer encore plus de mouvement migratoire. Comme je l’ai écrit ci-haut devant l’incertitude et le manque de perspective d’avenir aucun être humain ne peut accepter de rester statique pour subir. Il cherche à bouger avec l’espoir de se trouver une issue. Doit-on les laisser mourir sous prétexte qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde quand bien même on reste disponible à accueillir les marchandises et les capitaux en provenance de pays d’origine de ces migrantes ?

Il est plus que temps de comprendre que chaque vie des migrant es compte autant que de ceux et celles que l’on vaut sauver par le vaccin contre le Covid. Les raisons de départ de migrants ne sont plus à rappeler. Elles sont bien connues et je ne cesserais de dire aux dirigeants européens qu’au lieu de fermer les frontières et laisser les migrants mourir, ils feraient mieux de s’interroger sur la relation de cause à effet. Faudrait-il soigner la cause ou les effets d’un phénomène ?

L’on se souvient qu’en 2006 à la suite de l’arrivée de quelques 30.000 migrants dans les Canaries, de voix s’étaient levée pour trouver une solution. Une conférence sur la migration et le développement regroupant les pays de l’UE et ceux d’Afrique fut organisé à Rabat. A l’issus de cette conférence, plusieurs mesures allant de développement de pays d’émigration en passant par l’humanisation de la migration jusqu’à la sécurisation de frontière européenne furent prises. Mais curieusement, le constat est qu’au jour d’aujourd’hui, seul l’approche sécuritaire a été privilégié par l’UE et de centaines de millions d’euro sont dépensés non pas pour aider au développement des pays de provenance de migrants, mais plutôt pour sécuriser les frontières. La conséquence c’est que 15 ans après, c’est la route de l’atlantique vers le canarie qui recommence. Pour l’année 2020, l’Organisation Internationale de Migration, OIM, et le Haut commissariat de Nations unies aux Réfugiés rapportent à 21.028 migrants qui sont arrivée sur l’ïle, cela sans compter ceux et celles qui sont engloutis par l’Atlantique quant’ on sait qu’il faudrait plusieurs semaines à bord de Cayucos ou de pateras pour atteindre les îles et que dans une telle aventure même les plus forts ne résistent pas aux intempéries. Cette expérience révèle bien qu’il faudrait prendre le courage de s’attaquer aux vraies causes plutôt que de chercher à construire le mur.

Publié: 28. avril 2021

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