Économisation

Le malaise de la mondialisation

Traitement des traumatismes dans le néolibéralisme

L’économisation des aspects de la vie entraîne un accroissement des souffrances morales à l’échelle mondiale. Cela se traduit souvent par une individualisation des problèmes sociaux qui sont classés comme maladies mentales et traités par des médicaments. Les actions psychosociales émancipatoires doivent affronter ces tendances avec un esprit critique. Le symposium de la Fondation medico de mai 2012 a offert l’opportunité d’engager un débat approfondi sur ce sujet.

Lors du symposium, Mme Karin Mlodoch, psychologue à Berlin et ancien membre du personnel de medico, a déterminé les principales catégories d’actions psychosociales émancipatoires. Selon elle, il s’agit d’élaborer une approche et un langage mettant l’accent sur la solidarité, l’empathie et la partialité pour les victimes de violences, les personnes exclues et marginalisées. Elle a cité l’exemple des veuves de la campagne d’anfal contre les Kurdes, des femmes qui ont survécu aux attaques de 1988 de centaines de villages kurdes par l’armée iraquienne. Plus de 100 000 hommes et femmes ont ainsi disparu et on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu de bon nombre d’entre eux. Depuis 1988, Karin Mlodoch a travaillé à plusieurs reprises avec ces femmes, notamment dans le cadre de l’association Haukari. medico soutient également ces travaux. Madame Mlodoch a fait une présentation vivante montrant comment la terreur politique, l’exclusion sociale et la privation économique ont placé ces femmes dans des situations extrêmement stressantes. Comme elle le dit : « Mais ces femmes ont survécu. Elles ont élevé leurs enfants sans soutien masculin ou social. Leurs structures communes et collectives et leur souffrance partagée ont été leur principale ressource ». Le renforcement de ces ressources reste un élément essentiel du soutien psychologique. Comparativement aux approches uniquement concernées par l’état mental de chacun, Karin Mlodoch a déclaré : « Il est vrai que des souvenirs traumatisants continuent de hanter l’histoire de ces femmes. Beaucoup d’entre elles présentent des symptômes psychosomatiques graves, mais pour elles, ces symptômes ne sont jamais traumatiques. Ce ne sont que des réactions normales à ce qu’elles ont vécu. Comment ne pas avoir de cauchemars lorsque trois de vos enfants sont morts dans vos bras ? » Karin Mlodoch a associé les progrès décisifs constatés à l’importante amélioration de la situation socioéconomique des femmes à la suite du renversement du régime de Saddam Hussein en Irak. Les femmes n’ont pas renoncé à leurs liens collectifs et elles ont établi une nouvelle relation avec la réalité. « L’accent n’est plus mis sur ceux qu’elles ont perdus, mais sur leur situation à elles, plus sur les victimes, mais sur les survivants ».

C’est un soutien psychosocial de ce type, qui tient compte du contexte politique et social de ceux qui souffrent, qui a été le point de départ des actions de medico il y a plus de 30 ans. Comme de nombreuses présentations faites lors du symposium l’ont fait remarquer, une pression considérable est mise aujourd’hui sur une telle approche politique et émancipatoire. La volonté de comprendre et d’analyser entre en conflit avec les normes, discours et procédures de normalisation aujourd’hui à la mode dans le contexte de l’action psychosociale. Par exemple, Usche Merk, spécialiste de medico en matière d’action psychosociale, a fait remarqué, lors du symposium, qu’actuellement la thérapie comportementale narrative (narrative exposure therapy – NET), technique élaborée par des chercheurs de l’université de Constance, est prometteuse de résultats rapides, notamment pour d’importants groupes de population exposés à des expériences traumatisantes telle que la guerre civile au Rwanda. Selon cette technique, il est possible de surmonter les traumatismes en quatre à six séances seulement, grâce à une confrontation rapide et détaillée avec les pires expériences. Les autorités acceptent volontiers ce modèle qui présente le double avantage d’être peu coûteux et rapidement disponible.

Les antidépresseurs comme traitement systématique

En raison de la propagation mondiale du capitalisme, les règles de l’économie de marché ont envahi les régions les plus reculées de la Terre. On a également constaté un accroissement rapide des souffrances mentales dans les sociétés postcoloniales de l’hémisphère Sud. Cette tendance est due en partie à des concepts de développement erronés fondés sur ce qu’on appelle des modèles d’entreprenariat axés sur l’individu. Par exemple, au lieu de favoriser les communautés coopératives ou de créer des systèmes de sécurité sociale financés par l’impôt, de nombreux programmes d’aide visaient et visent encore à « préparer les individus à la concurrence », par exemple avec les microcrédits. Parallèlement à l’accroissement des souffrances mentales, nous constatons une explosion des diagnostics psychopathologiques qui lient la souffrance à l’individu. Lors du symposium, Stefan Ecks, ethnologue médical à l’université d’Édimbourg, a déclaré qu’en Inde, les généralistes prescrivent systématiquement des antidépresseurs. Ils justifient explicitement cela en disant que la mondialisation, l’insécurité sociale et la désintégration des familles étaient des causes de dépression de leurs patients. La progression des diagnostics de dépression, de TDAH et de SSPT reflète non seulement l’anxiété croissante créée par la mondialisation, mais également une individualisation extrêmement contestable des problèmes sociaux.

Le symposium a également clairement montré qu’on peut trouver d’autres connaissances et d’autres pratiques et attitudes dans les organismes de conseil, institutions et services d’aide. Les participants (dont beaucoup étaient des experts) ont profité de l’occasion pour formuler des options de langage et d’action. Avant tout, le problème de l’anxiété dans le sillage de la mondialisation a besoin de réponses politiques. Il a également besoin que soit résolue la question des formes appropriées d’aide psychosociale : intervention ou aide rapide, axée sur les résultats et s’adressant à l’individu, qui s’appuie sur les ressources et les capacités d’auto-guérison de ceux qui sont concernés et qui, en conséquence, soulève des questions sociales et politiques. Il y a eu, à ce sujet, une forte convergence d’opinions : compte tenu des assauts du néolibéralisme sur le psychisme, il est grand temps de repolitiser le traitement des traumatismes.

En 2012, medico a soutenu près de 30 projets de soutien psychosocial.

Publié: 01. mai 2013

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