La fin des années de plomb

Proche-Orient : Démocratie et droits de la personne en période de révolte

L’année 2011 sera une année historique pour le monde arabe et pour l’ensemble du Proche-Orient. Les révoltés de la place Tahrir, au Caire, ont marqué de leur empreinte l’image collective du "printemps arabe". Le soulèvement pacifique de milliers et de milliers de personnes a fait déferler un incroyable étonnement dans le monde entier et a, ensuite, suscité un extraordinaire enthousiasme. Quelles en étaient les causes et avec qui medico traite-t-il dans ces situations intriquées ? Essayons de faire le point.

La chute de l’ancien régime

medico travaille depuis des décennies au Proche-Orient et, depuis de nombreuses années, prête appui à des partenaires en Palestine, en Israël, au Liban et aussi, depuis peu, en Égypte et en Syrie. Dans nos activités de projet, nous aidons au quotidien les victimes de guerres, les réfugiés et les exclus, et nous aidons nos partenaires à transformer les conditions sociales qui sont responsables de la guerre, de l’exclusion et du déni des droits démocratiques.

L’année passée n’a pas été moins que le témoin de la fin d’une époque et de l’amorce d’une ère nouvelle. "Le monde arabe entre à présent dans le 21ème siècle et se réconcilie avec son histoire", a écrit l’écrivain libanais Elias Khoury. Le 11 février 2011, jour de la chute du Raïs égyptien Hosni Mubarak, peut également être interprété comme la réponse arabe au 11 septembre 2011. La sombre décennie de la "guerre contre le terrorisme" a été balayée et vaincue avec des moyens pacifiques. Les anciens régimes avaient été légitimés par l’Europe et les États-Unis parce qu’on les considérait comme garants de l’ordre contre le "fondamentalisme islamique". Il n’y a cependant jamais eu de place pour la démocratie et la justice sociale dans ce cadre prédéterminé. Jusqu’au début de la révolution en Tunisie, le monde arabe était le seul "continent" dans lequel le déficit démocratique s’étendait à tous les domaines sociaux. C’était en même temps le seul système régional présentant une unité linguistique et culturelle dans lequel l’absence de démocratie, qui n’est pas spécialement un mal arabe, s’associait à des formes d’occupation militaire et de domination étrangère. La carte géopolitique du pouvoir était formée de dictatures nationalistes dégénérées, de chefs féodaux mafieux et des pompes à carburant de l’Occident connues comme étant les "États du Golfe". Seul Israël se caractérisait par une libéralité sociale, qui était cependant minée par un système élaboré de ségrégations sociales et d’accaparement continu des territoires palestiniens.

Les despotes arabes modernes ne se contentaient pas d’asseoir leur règne sur le népotisme, l’oppression et la torture. Ils ont en même temps transformé l’ancien État providence social en un système néolibéral dans le seul but d’extorquer la population. "Avec 60 % de la population ayant moins de 25 ans, cette région est l’une des plus jeunes du monde", pouvait-on déjà lire en 2009, dans le rapport des Nations unies sur l’évolution démographique dans les pays arabes. Selon ce rapport, les pays arabes auront, d’ici à 2020, besoin de 51 millions de nouveaux emplois, la plupart afin "d’accueillir les jeunes entrant sur le marché du travail et qui, sinon, se retrouveraient sans perspectives d’avenir". C’est notamment cette question du chômage qui a embrasé les révoltes arabes ; la jeunesse bien formée, dont les espérances avaient été déçues, y a joué un rôle central.

Le retour en force du citoyen

Les révoltes en Tunisie et en Égypte ont fait comprendre aux dirigeants arabes que leur heure avait bel et bien sonné. La masse non différenciée, considérée jusque là avec mépris et condescendance par les dirigeants, a donné naissance à une foule de voix multiples qui ont occupé les rues et les places. Ces rues et places, qui étaient auparavant réservées aux parades d’une propagande d’État manipulatrice, se sont transformées en espaces publics. Elles symbolisent le retour du citoyen libre dans l’histoire la plus récente du monde arabe. Les sujets dociles se sont métamorphosés en citoyennes et citoyens qui réclamaient leurs droits et exprimaient tout haut ce qu’il était impensable de dire avant : les dirigeants doivent partir, ce n’est qu’après que la négociation pourra commencer. En se servant des nouveaux médias, d’affiches et de photos, les populations, qui visaient plus loin que les frontières nationales, ont adressé leur message à l’opinion publique mondiale.

Mais, il s’est encore passé autre chose : le soulèvement, riche en évènements et que personne n’avait prévu, de milliers et de milliers de personnes, qui ont seulement pressenti qu’elles étaient en voie de tout changer à partir du moment où elles ont commencé à agir, a envoyé un message d’autonomisation démocratique au monde entier. Les rassemblements populaires et les mouvements spontanés des populations, principalement musulmanes, mais pas seulement, ont à nouveau réfuté l’interprétation culturaliste et, finalement raciste aussi, de l’éternelle "lutte des cultures" qui est largement répandue dans le monde occidental. L’idée reçue selon laquelle les sociétés arabes peuvent tout au plus se décider entre un autoritarisme séculaire et une théocratie islamique est un pur cliché. Ce radical changement de perspective a des répercussions sur le travail de tous les partenaires de medico dans la région. Leur intervention en faveur d’une vie meilleure sert finalement à toutes les personnes vivant au Proche-Orient et revêt ainsi une importance universelle.

Au milieu de la mêlée : les partenaires de medico au Proche-Orient

Égypte: en Égypte, l’année 2011 a été placée sous le signe de l’aide d’urgence aux victimes de la violence politique exercée à l’encontre du mouvement démocratique. Après la chute de Mubarak, il importe à présent de transformer la liberté politique reconquise en progrès sociaux tangibles. Dans le bidonville d’Ezbet Al Haggana, le partenaire de medico, la Fondation Al Shehab pour un développement compréhensif (Al Shehab Foundation for Comprehensive Development), lutte solidairement avec les communautés voisines mobilisées pour le droit à une vie meilleure : évacuation des déchets, alimentation en électricité, infrastructures publiques et services de santé. Car ce sont ces combats à l’échelle locale qui, finalement, permettent de savoir si la révolution est capable de tenir ses promesses au quotidien.

Palestine: Dans les territoires palestiniens occupés, l’enjeu consiste à associer la lutte quotidienne contre l’érosion croissante de toute qualité de la vie à un nouveau mouvement démocratique pour la liberté. En effet, le système expansif d’enclavement par Israël menace de laisser au mieux à la future Palestine des territoires encerclés. Les partenaires palestiniens de medico, tels que l’organisation des droits de l’homme Al Mezan dans la bande de Gaza, ne se battent pas seulement pour des services de santé améliorés et contre l’encerclement systématique de la population palestinienne, mais aussi pour une culture de la dissidence démocratique. Israël : À Tel Aviv, les partenaires de medico continuent à veiller stoïquement et avec détermination à ce que la libéralité qu’Israël connaît à l’intérieur de ses frontières ne s’érode pas et ne continue pas d’être assurée au détriment de la population palestinienne. L’association israélienne des médecins pour les droits de l’homme (Physicians for Human Rights) non seulement défend les droits humains politiques, sociaux et économiques en luttant contre la structure violente de l’occupation, mais s’efforce dans ses activités de projet concrètes, dans l’aide apportée aux migrants en Israël et dans la coopération avec des médecins palestiniens travaillant en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, à trouver des moyens de miner le système quasi parfait d’enclavement et d’exclusion.

Liban: La démocratie libanaise est relativement libre tout en restant aux prises d’un système ségrégationniste de représentation confessionnelle. Les partenaires de medico au Liban s’efforcent d’améliorer les conditions de vie dans les camps palestiniens qui avaient été installés à titre provisoire mais qui durent jusqu’à nos jours. Leur action met l’accent sur les services de santé de base, mais aussi sur les possibilités de renforcer le droit de parole et de décision des jeunes et des femmes sur les questions politiques concernant leurs communes et leurs camps de réfugiés. À Beyrouth, medico soutient un centre de santé sexuelle accueillant les homosexuels, qui est connu bien au-delà des frontières du Liban et qui dispose d’un service de conseil en ligne unique en son genre dans le monde arabe.

Syrie: À Damas, Homs ou Daraa, aucune différence n’est faite pour le moment entre les objectifs à court et à long terme. La liberté ne signifie qu’une seule chose ici : l’abolition du despotisme, la fin des tireurs embusqués et le respect des droits civils fondamentaux. Depuis le début de la révolution syrienne, medico est en contact avec les comités de base de l’opposition, qui organisent chaque semaine des manifestations dans tout le pays. Nous soutenons en outre les cellules d’urgence clandestines des "Médecins de la révolution", ces médecins engagés du mouvement local d’opposition non armée qui, au péril de leur vie, traitent secrètement et clandestinement les insurgés blessés.

Comment le "printemps arabe" continuera-t-il ? L’avenir ne se construit pas en un jour. Nous devons nous abstenir de penser en horizons de temps courts car il faudra encore des années pour savoir jusqu’où les résonnances de ce "printemps arabe" se sont fait sentir.

En 2011, le soutien apporté à nos organisations partenaires au Proche-Orient s’est élevé à un montant total de 1 358 790,67 euros.

Publié: 27. août 2012

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