Israël/Palestine

État d'urgence fois deux

Les attaques meurtrières du Hamas ont des répercussions importantes sur nos partenaires en Israël. Avec Guy Shalev, directeur de Physicians for Human Rights, nous avons évoqué la situation et leur travail avec les survivant:es.

Sous le choc et sous les bombes

Étant donné l'intensité des bombardements, nos partenaires à Gaza ne sont pas en mesure de donner des interviews. Nous nous sommes donc entretenus avec Chris Whitman, notre représentant en Palestine et en Israël, qui est en contact régulier avec eux:elles.

medico : Comment vis-tu la situation en Israël après les attaques du Hamas ?

Guy Shalev : Tout d’abord, nous sommes tous:toutes dévasté:es. Chaque personne que je connais connaît quelqu'un qui a été assassiné ou tué, enlevé ou blessé. Israël est un tout petit pays où les liens familiaux et communautaires sont très forts. Quand plus de 1 000 personnes sont assassinées, cela se ressent partout.

À cela s'ajoute la menace à laquelle les gens continuent d'être exposés. Par exemple, nous avons emménagé dans la maison de mes parents parce que nous n'avons pas d'abri antiaérien digne de ce nom. Il en est de même pour d'autres membres du personnel de PHRI. Certain:es de nos collaborateurs:trices sont bloqué:es à Londres et au Danemark. Une collègue est partie à Chypre faute de trouver un endroit sûr pour se protéger elle et sa famille. Dans un premier temps, elle est allée rejoindre ses parents dans le nord, mais en raison de la proximité du Liban, elle n'y était plus en sécurité et a quitté temporairement le pays avec son enfant.

Dans le centre d'Israël, nous entendons au moins une sirène par jour à cause des tirs de roquettes en provenance de la bande de Gaza. Nous devons sans cesse courir vers les abris. Dans le sud, c'est beaucoup plus fréquent. Comme vous le savez, j'ai une petite fille. Ma compagne est également enceinte, ce qui est bien sûr une source d'inquiétude supplémentaire dans la situation actuelle. Avant d'avoir des enfants, nous n'aurions pas bougé s'il y avait des tirs de roquettes.

Et qu'en est-il de tes collègues de PHRI ? Comment vivez-vous la situation et qu’implique-t-elle pour vous en tant qu'organisation ?

Notre personnel est juif-israélien et plus d'un tiers est palestinien. Nombre de nos bénévoles sont des professionnel:les de la santé palestinien:nes. Notre expérience de ce qui se passe est donc très complexe et, en dehors du travail, nous sommes impliqué:es dans des réalités différentes : Les Israélien:nes juifs:juives pleurent les victimes des attaques du Hamas de samedi, tandis que les Palestinien:nes sont extrêmement inquiet:iètes pour leurs proches et leurs communautés à Gaza.

Nos collègues juifs:juives reçoivent principalement des vidéos horribles des événements dans le sud d'Israël dans leur fil d’actualité, tandis que nos collègues palestinien:nes sont confronté:es aux images horribles de Gaza. Aussi proches que nous soyons, et même si nous sommes collègues et travaillons ensemble, ces réseaux sont très différents. Nous sommes ensemble, mais en ce moment nous vivons avec des consciences très différentes.

Vous avez fermement condamné les crimes du Hamas. Dans une autre prise de position, vous avez également déploré l'action menée actuellement par l'armée israélienne, qualifiée à plusieurs reprises par des officiels et des politiciens de campagne de vengeance. Comment penses-tu que la société israélienne perçoit votre position ?

Ces jours-ci, en tant qu'organisation de défense des droits de l'homme, il est extrêmement difficile de parler d'une voix claire, fondée sur le principe des droits de l'homme, sans tomber dans la neutralité excessive du deuxcôtisme. Chaque camp est responsable de ses actes et devrait répondre de ses propres crimes. Les crimes d'un camp ne peuvent pas justifier les crimes de l'autre.

Après les massacres perpétrés par le Hamas, la société israélienne n'est guère disposée à « faire preuve de clémence », comme certain:es l'ont dit, ni même à reconnaître le droit des civil:es palestinien:nes de Gaza à un minimum de protection.

Dans le climat sociopolitique qui règne en Israël depuis quelques années, et plus encore depuis que ce gouvernement d'extrême droite est au pouvoir, le climat à l'égard d'organisations comme la nôtre et des militant:es anti-occupation était déjà très hostile. Depuis le 7 octobre, c'est devenu encore plus difficile, mais en tant qu'organisation de défense des droits de l'homme, nous voulons, devons et maintiendrons certains principes.

Vous êtes non seulement une organisation de défense des droits de l'homme mais aussi une organisation d'aide médicale avec des programmes spécifiques fournissant des services de santé. Par le passé, medico a soutenu à plusieurs reprises vos projets humanitaires, notamment la livraison de médicaments d'urgence à Gaza ou de cliniques mobiles en Cisjordanie occupée. Que faites-vous actuellement ?

Actuellement, nous travaillons en Israël pour venir en aide aux victimes des attaques du Hamas. Nous soutenons les personnes qui ont été attaquées dans les communautés du sud d'Israël et qui ont fui. Plusieurs milliers de personnes sont hébergées dans des hôtels du sud, à Eilat et sur les rives de la mer Morte. D'autres ont trouvé refuge dans leurs familles un peu partout dans le pays.

Par ailleurs, au moins un millier d'ouvrier:ières agricoles thaïlandais:es travaillaient dans les communautés touchées en tant que travailleurs:euses migrant:es dans le secteur agricole. Ils:elles ont également été déplacé:es et ont subi la même tragédie. Toutefois, ils:elles ne sont pas logé:es dans des hôtels, mais dans de grands hangars ; certain:es d'entre eux:elles doivent constamment changer d'endroit. C'est une véritable honte. Le fait qu'ils:elles ne reçoivent pas le même type de soutien que les personnes avec lesquelles ils:elles ont vécu dans les mêmes communautés, que leurs voisins:es et leurs employeurs:euses, n'a pas d'autre raison que le racisme auquel ils:elles ont déjà été confronté:es auparavant.

Nous mettons à la disposition des gens des médicaments pour le traitement des maladies chroniques, des infections aiguës et contre d'autres maux. Certains cas de blessures ne nécessitent pas d'hospitalisation, et notre personnel peut alors aider à les prendre en charge. Certaines personnes ont besoin de médicaments prescrits par un psychiatre, qu'il leur est difficile d'obtenir là où elles se trouvent actuellement.

Mais nous venons également en aide à des personnes qui souffrent d'anxiété ou qui ont besoin de somnifères après les expériences horribles qu'elles ont vécues dans cette situation traumatique dure et aiguë. D'autres collègues , spécialisé:es dans ce domaine, s'occupent du soutien psychosocial et psychologique.

À l'instar des services de PHRI, la plupart de ces services sont proposés à titre bénévole par des volontaires qualifié:es. En effet, le gouvernement ne répond toujours pas de manière adéquate aux besoins des personnes concernées. Or, de notre point de vue, ce sont surtout les soins médicaux de base qui sont en jeu. Si ces besoins ne sont pas satisfaits, la situation des personnes concernées risque de s'aggraver.

Comment se fait-il que les soins fournis par l'État soient insuffisants dans un pays comme Israël ? Pourquoi une organisation comme la PHRI doit-elle s'impliquer ?

La question est justifiée. Nombreux:euses sont ceux:celles qui estiment qu'Israël a déjà laissé tomber ces personnes en ayant négligé leur sécurité dans les villes et villages proches de Gaza et en ayant été incapable de les protéger des heures durant alors que le Hamas commettait ses crimes. Je comprends que les autorités aient voulu placer les gens dans un endroit aussi sûr que possible, où il n'y aurait pas de sirènes anti-aériennes, pour qu'ils n'aient pas à se précipiter toutes les deux heures dans les abris. Ils n'ont vraiment pas besoin de cela après ce qu'ils ont subi. Environ 3 000 personnes ont été hébergées dans des hôtels au bord de la mer Morte. C'est un endroit sûr, les missiles ne vont pas là-bas.

Mais ce n'est pas non plus un endroit très peuplé. Là-bas, il n'y a pas de cliniques ni d'infrastructures capables de prendre en charge un si grand nombre de personnes dans une telle situation ni de répondre à leurs besoins spécifiques. Voilà pourquoi nous nous sommes immédiatement rendu:es sur place avec des volontaires et des médicaments. Entre-temps, le gouvernement a également ouvert une clinique, mais pour certaines personnes, parcourir la distance entre leur hôtel et cet établissement relève d’un véritable défi. PHRI gère une petite clinique directement dans l'un des hôtels où sont logées les personnes du kibboutz Be'eri. Il s'agit de l'une des communautés les plus touchées par les attaques du Hamas.

Travaillez-vous aussi à Gaza ?

Dans l'immédiat, nous ne pouvons guère apporter d'aide directe aux habitant:es de Gaza étant donné que nous ne pouvons pas y acheminer de matériel. Comme tu le sais, l'armée israélienne a imposé un blocus total, qui inclut également les biens humanitaires comme les médicaments. Pour le moment, nous suivons les informations publiées par le ministère palestinien de la Santé et sommes également en contact direct avec l'administration des soins de santé grâce à nos contacts sur le terrain. Dès que nous pourrons donc y livrer quelque chose, nous serons reconnaissants pour tout don permettant d'acheminer des médicaments à Gaza.

Nous travaillons aussi dur que possible pour inciter la communauté internationale à agir et à mettre fin aux terribles attaques contre Gaza. Nous ne cessons de répéter que l'attaque du Hamas de samedi dernier ne doit pas être utilisée comme prétexte  pour attaquer sans discernement les deux millions d'habitant:es de la bande de Gaza. La vengeance n'est pas un plan d'action politique.

L’interview a été réalisée par Riad Othman.

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Publié: 09. octobre 2023

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